Ohayou
Juillet 2023
A Kanazawa il y a les amis, les sorties tard la nuit, les rencontres mais il y a aussi la ville. Je ne me lasse pas de retourner à chaque fois aux mêmes endroits. Le magnifique jardin, le Kenrokuen, le château, les deux anciens quartiers de Geisha, le musée du 21ème siècle, le musée et la maison de D.T. Suzuki et 長町, le quartier des samouraïs.
長町
Nagamachi
C’est une des attractions discrètes de Kanazawa. En plein centre historique, dans un calme étonnant, on peut déambuler avec nostalgie et tenter pendant quelques instants d’imaginer ce qu’était la vie à l’époque Edo, l’époque où les samouraïs n’étaient plus des guerriers mais des administrateurs, des lettrés, parfois de poètes, des philosophes ou des artistes. Les guerres étaient finies.

Il est tellement agréable de se promener au soleil de fin d’après-midi dans ces ruelles fascinantes et mystérieuses. Elles abritent des maisons aux allures étonnantes et qui semblent toujours habitées. C’est beau et tentant. On aimerait pouvoir pénétrer dans ces jardins, dans ces demeures splendides ; parfois un petit mot discret vous rappelle qu’il s’agit bien d’une maison privée.
Il est cependant possible d’en visiter. Là, le charme prend encore une autre dimension. On enlève ses chaussures et on entre dans un autre monde. À pas feutrés, on se faufile les yeux brillants devant ces trésors de simplicité, souvent d’une grande beauté.

J’y retourne à chaque fois. Il y a rarement du monde, il est possible de profiter, quelques instants, de la sérénité d’un samouraï éduqué aux principes du bouddhisme zen et du néoconfucianisme. On contemple le jardin tout en écoutant le bruit de l’eau, rien que de l’eau. On oublie qui on est, on imagine qui pouvait être ce samouraï qui habitait là. Comme dans un rêve on croit entendre le froissement d’un kimono qui passe légèrement sur un tatamis. Une femme, une amie, une fille, une servante ? Qu’importe, la magie opère, nous sommes au temps des samouraïs.
La plupart des maisons des familles de samouraïs ont été détruites à la fin du XIXe siècle après la restauration Meiji. C’est l’époque du retour au pouvoir de l’empereur après dix siècles de pouvoir symbolique. C’est aussi la fin des shōgun et donc des clans de samouraï. Ils doivent couper leur chignon distinctif, le port du katana est interdit et beaucoup de maisons vont être détruites pour être remplacées par des maisons de style occidental, principalement américain.
C’est la volonté de l’empereur, pour tirer un trait sur ce passé et faire entrer le Japon dans la modernité. Tout ce qui vient de l’Occident est beau et intéressant, tout ce qui appartient à l’époque des samouraïs doit disparaitre. Ce n’est pas du goût de tout le monde et cette occidentalisation du Japon mènera à une guerre civile, la guerre de Boshin (1868-1869) qui s’achève par la défaite du clan du Shōgun à la bataille d’Hakodate le 17 mai 1869.

Quelques demeures Samouraï ont malgré tout été préservées, restaurées, reconstruites à Kanazawa. Comme celle de la famille (du clan) Nomura qui fut construite à la fin du XVIe siècle. La famille Nomura était l’une des plus riches et servait les seigneurs de la famille Maeda qui dominait la région.
La grande pièce centrale, la Jodan-no-ma, est la pièce construite sur un plancher surélevé recouvert de tatamis. C’est là que le seigneur recevait ses invités ou donnait audience à ses sujets. Les charpentes sont en bois de cyprès. Certaines décorations sur les panneaux coulissants sont l’œuvre d’un artiste très connu de la fin du XVIIIe siècle, Sasaki Senkei, peintre officiel du domaine de Kaga.



Le jardin qui réunit l’eau, la pierre, la main de l’homme, est un endroit de sérénité et de réflexion. Dans le bassin vivent des koïs colorés qui deviendront un jour des dragons. C’est un endroit propice à la médiation et au calme que les visiteurs respectent, la plupart du temps, mais pas toujours malheureusement.




A l’étage il y a un salon de thé et on peut en faire la dégustation dans une cérémonie simplifiée. Je pourrais rester des heures dans cet endroit en regrettant simplement de ne pas y être seul, mais il faut savoir partager. Mes amis japonais m’ont dit que cet endroit est wabi-sabi, ce concept purement japonais, intraduisible, qui voit dans l’usure, dans ce qui est abimé, cassé ou même mort, de la beauté. C’est un concept philosophique bouddhiste zen.
Ce n’est pas étonnant, les samouraïs ont pour la plupart étés progressivement converti au bouddhisme zen lorsque celui-ci a été introduit au Japon entre le VIe et le XIIIe siècle. Le zen met en avant la méditation, cette demeure de samouraï en est le très exact reflet.
Bibliographie
- Souyri, Pierre-François. Nouvelle histoire du Japon. Paris : Perrin, 2010.
- Souyri, Pierre-François. Les guerriers dans la rizière. La grande épopée des Samouraïs. Paris : Flammarion, 2017



