Mon des Tokugawa
English: Hyakurakuto日本語: 百楽兎, CC BY-SA 3.0
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Ohayou
Janvier 2023

En 1615, Tokugawa Ieyasu, devenu shōgun, mate une révolte au château d’Osaka menée par le fils de Toyotomi Hideyoshi. Celui-ci est éliminé, ainsi que tous ses partisans. L’époque Edo peut définitivement commencer, et la légende des samouraï et du bushidō peut être écrite.

C’est à cette époque, au début du XVIIe siècle, que le terme samouraï va être réservé aux bushi, aux guerriers, et que le terme bushidō signifiant « voie du guerrier » apparaît dans les textes.

Lorsqu’une guerre de plus d’un siècle s’arrête, une des questions centrales est : que fait-on de ceux qui n’ont connu que la guerre ?

Tokugawa Ieyasu va retenir les leçons du passé et va chercher avant tout à structurer la société japonaise sur la base d’un néoconfucianisme très strict. Le confucianisme est un des trois piliers de la pensée chinoise ; les deux autres sont le taoïsme et le bouddhisme. Le confucianisme s’occupe de l’organisation et de la structure de la société. Le néoconfucianisme, qui devient dominant au XIVe siècle en Chine, ajoute un système métaphysique à sa morale, il n’est plus simplement un système d’administration de l’État et d’organisation de la société. Le but de ce néoconfucianisme, théorisé en Chine au XIIe siècle par Zhu Xi, était de lutter contre l’influence grandissante du bouddhisme.

La grande force de Tokugawa Ieyasu à l’époque est de comprendre que le Japon a besoin d’un système de valeurs de référence qui est en même temps un outil d’organisation de l’État. Un des préceptes du confucianisme est de dire que pour changer une société, il faut changer la famille et l’individu. C’est ce qu’il va initier, c’est ce que le clan Tokugawa va développer tout au long de sa domination du Japon.

Les vertus confucéennes sont l’humanité, la droiture, la correction, la sagesse, la fidélité, la sincérité et la conformité à l’ordre social. C’est exactement ce que n’était pas le Japon à l’époque Sengoku et ce que le Japon doit devenir à l’époque Edo. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui un véritable projet de société moderne.

Le confucianisme chinois a été introduit au Japon dès le IIIe siècle, en 285 selon les premiers textes japonais qui viendront plus d’un siècle après. Bien avant le bouddhisme, qui apparaît vers la fin du IVe siècle.

Confucianisme et bouddhisme possèdent des écoles, des enseignements très structurés. Le premier instruit des règles d’organisation de l’État et de la société civile ; le second, une métaphysique très ritualisée et extrêmement exigeante. Les deux entrent en concurrence, que ce soit en Chine, en Corée ou au Japon. Au Japon, c’est à l’époque Nara, au VIIIe siècle, que les cinq grandes sectes bouddhistes, les 五山, prennent l’ascendant sur le confucianisme, dont l’importance dans l’enseignement décline jusqu’au début de l’époque Kamakura, à la fin du XIIe siècle.

五山
Gozan – cinq montagnes.

À partir de cette époque, le néoconfucianisme de Zhu Xi, qui est en fait une relecture et une réinterprétation des textes fondamentaux de Confucius, donne un nouvel essor à cette école. Celle-ci finit par s’imposer au XIVe siècle en Chine et au début du XVIIe siècle au Japon.

Une des conséquences de ce renouveau du confucianisme au Japon est que les principales sectes bouddhistes zen vont être forcées d’étudier le néoconfucianisme pour répondre aux critiques que celui-ci fait au bouddhisme zen. Cela se révélera idéal à terme pour le projet de Tokugawa Ieyasu de stabilisation politique et sociale du Japon.

Pour cela, il s’appuie sur Hayashi Razan, un prêtre bouddhiste défroqué, insatisfait de la philosophie et de la doctrine de cette religion, qui se tourne ensuite vers le néoconfucianisme. Il deviendra le mentor des quatre premiers shōgun Tokugawa et s’appuiera dans son enseignement essentiellement sur les œuvres de Zhu Xi. Selon Zhu Xi, le rouage essentiel de la société est l’individu. Pas dans le sens individualiste occidental moderne, mais dans le sens du rôle que les individus jouent dans une société, ce qui implique une nécessaire hiérarchisation de celle-ci.

Au Japon, au début du XVIIe siècle, cette nouvelle hiérarchie de la société place les samouraï au sommet, puis les paysans, ensuite les artisans et enfin les marchands, qui seront pendant toute l’époque Edo la classe la plus basse. Parallèlement à cette hiérarchie, Hayashi Razan impose une éducation nécessaire pour ces différents niveaux de la société, particulièrement pour la classe supérieure, afin qu’elle connaisse parfaitement les obligations inhérentes à son statut.

On voit poindre l’idée du bushidō, cette voie du guerrier qui n’est plus seulement un apprentissage des armes, mais aussi un apprentissage de la vie en société et des obligations liées au statut de guerrier. Le terme bushidō apparaît pour la première fois dans les textes de l’époque, mais il n’existe pas pour autant un ouvrage regroupant les obligations des bushi. Les textes décrivent les rôles, les fonctions, les obligations et les
interdits de tous les niveaux de la nouvelle hiérarchie.

Un aphorisme d’Hayashi Razan disait : « Aucune vérité n’est apprise sans les armes, et il n’y a point de véritables armes sans apprentissage ».

La théorie politique d’Hayashi Razan repose sur l’idée que les samouraï forment la classe dominante lettrée du shogunat, même si, au début du XVII siècle, la plupart des samouraï sont illettrés. L’idée brillante, qui va fonctionner, consiste à valoriser la classe dominante en la poussant à s’éduquer elle-même et en lui donnant les moyens de le faire.

Pour Tokugawa Ieyasu, parallèlement à cette organisation sociale, le bushidō est le mythe social fondamental à inventer pour contrôler les guerriers contraints désormais au repos forcé et maintenir le calme dans le pays récemment unifié. On va donc codifier et standardiser de toutes pièces un samouraï mythique.

« Un bushidō sauvage était sans doute nécessaire à l’époque des seigneurs de la guerre au XVIe siècle, quand les batailles étaient fréquentes. Or, avec la mise en place d’une société pacifiée sous les Tokugawa, beaucoup d’organisations vassaliques de samouraï n’ont guère d’autre choix que de se métamorphoser : de groupes de combattants professionnels, elles se muent en structures bureaucratiques de contrôle politique. Dans une pareille société, un bushidō sauvage qui apprend à dégainer le sabre lorsqu’on est insulté serait inapproprié. D’ailleurs, ce qui se diffuse à cette époque, c’est le shidō, c’est-à-dire la voie du lettré. Les deux mots bushidō et shidō se ressemblent et seront plus tard souvent confondus. Le shidō, c’est la voie de celui qui place au centre la notion de shi (gentleman, lettré), qu’il faut entendre comme l’administrateur lettré au fait des enseignements du confucianisme. La notion de shi est, à l’origine, opposée à celle de bushi au sens de spécialiste du combat ».

Shin’ichi Saeki, Figures du samouraï dans l’histoire japonaise. Revue Annale.
Paris : Ecole des hautes études en sciences sociales, 2008/4.

La codification du 大小 est un exemple. Ce sont les deux sabres que le samouraï porte en permanence, c’est probablement l’emblème le plus connu du samouraï avec le chignon,. Le grand est le célèbre 刀 , le petit le 脇差.

大小
Daishō – grand et petit (sabre).


Katana – épée.

脇差
Wakizashi – petite épée.

Avant l’époque Edo, les bushi portaient souvent deux armes, mais pas forcément ces deux-là. De plus, les armes pouvaient aussi être portées par n’importe quelle classe de la société ; elles n’ont été réservées aux bushi par décret qu’à la fin du XVIe siècle. Les samouraïs de l’ère Edo vont avoir l’obligation de porter ces deux sabres.

Le 丁髷, la coiffure en chignon des samouraï qui est encore portée aujourd’hui par les sumotori, était à l’origine une manière de supporter le casque pendant les étés très chauds au Japon. À l’époque Edo, il devient une obligation : les samouraï doivent l’avoir mais ne portent plus jamais de casques.

丁髷
Chonmague – chignon.

Les Tokugawa façonnent ainsi l’image du samouraï reconnaissable par tous et créent sa nouvelle personnalité par le biais de l’éducation du néoconfucianisme. Les guerriers féroces, sans pitié, de l’époque Sengoku sont transformés en modèles de vertu et de dignité et ne vont concrètement plus jamais être des guerriers. Ils apprennent les arts martiaux, les pratiquent éventuellement pour des duels d’honneur, mais
ne combattent plus.

Une telle transformation demande du temps pour être mise en œuvre. Mais l’éducation et la théorisation du samouraï idéal ne sont pas les seuls éléments de la transformation de la société. Les Tokugawa vont également instaurer une structure financière, administrative et géographique très stricte des daimyō qui leur sont inféodés. Les alliés ont bien entendu été récompensés par des territoires, les anciens ennemis privés d’une partie des leurs ; tout cela va être très précisément enregistré par la nouvelle administration, et il va s’agir de rendre des comptes au shōgun.

À l’époque, la richesse d’un daimyō, d’un clan, se mesure en quantité de riz. Le 7 est l’unité de mesure et correspond à la quantité estimée de riz mangée par une personne en un an. Pour être un daimyō à l’époque Edo, il faut avoir un revenu minimum de 10 000 kokus annuels, ce qui permet d’entretenir une troupe de 250 soldats plus tout le personnel nécessaire à la production du riz. Les daimyō les plus riches ont jusqu’à 1 million de kokus, soit une armée de 25 000 hommes.


Koku – mesure de volume représentant 278,3 litres de riz avant 1891.

Tokugawa Ieyasu, le shōgun, dispose d’un revenu de 2 millions et demi de kokus et peut entretenir une armée de
60 000 hommes. En plus de cela, il prélève 6 millions de kokus chez ses daimyō sur une production globale de
256 millions de kokus.

Tout cela est écrit, enregistré, administré par une armée de fonctionnaires au service du shōgun qui sillonnent le pays pour contrôler et éventuellement sanctionner. Et peu à peu, les grands samouraïs vont devenir des administrateurs, des comptables, des chefs d’entreprise d’une certaine manière.

C’est vrai pour les plus puissants, mais beaucoup d’anciens bushi vont rapidement voir leurs revenus se réduire alors que leurs dépenses augmentent. Le nombre de samouraïs du shogunat va donc diminuer avec le temps.

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Bibliographie

  • Souyri, Pierre-François. Nouvelle histoire du Japon. Paris : Perrin, 2010.
  • Souyri, Pierre-François. Les guerriers dans la rizière. La grande épopée des samouraï. Paris : Flammarion, 2017

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