
Toyotomi Hideyoshi (1537 – 1598) est le deuxième grand unificateur du Japon, et c’est un cas particulier : il est le fils d’un paysan de la province d’Owari. À l’époque Sengoku, de nombreux paysans sont aussi des guerriers, les guerres étant très gourmandes en hommes. En revanche, il est extrêmement rare qu’un paysan gravisse tous les échelons de la hiérarchie militaire.
Toyotomi Hideyoshi, à 20 ans, se met au service de Oda Nobunaga pour finalement devenir un de ses principaux daimyō. Apprenant la mort de Nobunaga alors qu’il vient de vaincre le très puissant clan Mori, il rentre précipitamment et gagne la bataille de Yamazaki contre les responsables du coup d’État, qu’il fait exécuter. Il va poursuivre l’œuvre d’unification du Japon initiée par Nobunaga et l’achèvera en 1592 en prenant Nagoya à la tête d’une armée de 500 000 hommes.
Continuer le travail de son maître disparu n’est pas simple : les prétendants à la succession de Nobunaga sont nombreux, à commencer par ses fils, mais aussi d’autres daimyō, dont Tokugawa Ieyasu. De plus, ses origines paysannes jouent contre lui.
Mais c’est aussi une époque où les maîtres de guerre se forgent une réputation sur les champs de bataille, et Toyotomi Hideyoshi est un orfèvre en la matière. Sa réputation de fin stratège est déjà grande, et il la confirme en battant ses opposants sur le terrain. En 1585, il est adopté par une famille noble alliée, ce qui lui permet de devenir Naidaijin (ministre du centre), le deuxième plus haut rang de l’État derrière l’empereur.
Fort de ce pouvoir administratif et de plusieurs centaines de milliers de bushi, Toyotomi Hideyoshi achève l’unification du Japon en six ans. Il conquiert Kyūshū, la grande île du sud, à la tête de 200 000 hommes. Il interdit le christianisme et expulse les missionnaires jésuites de Nagasaki ; ceux-ci avaient reçu l’administration de ce port florissant d’Oda Nobunaga. Il renforce également le pouvoir des bushi en interdisant les armes aux paysans. C’est un peu un comble vu ses origines paysannes, mais c’est comme s’il fermait la porte derrière lui. Cette mesure aura un impact énorme sur la paix à venir quelques années plus tard.
En 1592, après la prise de Nagoya, tout le Japon est unifié. La plupart des daimyō sont soumis ou morts, et Toyotomi Hideyoshi est seul maître à bord. Ce n’est pourtant pas encore tout à fait la fin de ce siècle de guerres propres à l’époque Sengoku.

La question qui se pose alors est de savoir quoi faire de ces centaines de milliers de bushi qui n’ont jamais connu autre chose que la guerre au cours de leur vie. Quelle mission, quelle fonction, quelle occupation leur donner ? Ce problème ne sera réellement résolu que plus de 20 ans plus tard par son successeur, Tokugawa Ieyasu.
Mais Toyotomi Hideyoshi a posé les bases. Après avoir interdit les armes aux paysans, il va détacher les guerriers, les bushi, les samouraïs, de leurs terres. Ils ne pourront plus vivre parmi les paysans qui travaillent sur les terres ; ils seront chargés de récolter l’impôt au bénéfice du daimyō. À cet effet, Hideyoshi crée un nouveau système d’évaluation des richesses basé sur les récoltes de riz, le kokudaka, et il fait réaliser l’arpentage précis des terres par des commissaires. Il crée ainsi un cadastre nouveau qui remplace totalement l’ancien et redessine les rapports hiérarchiques dans tout le Japon.
Dans le Japon nouveau d’Hideyoshi, le paysan ne peut plus devenir guerrier, et le guerrier doit devenir un citadin, un administrateur, et s’éloigner des terres. C’est le début de la fin du système féodal, qui ne se déroule pas sans violence, comme le montre ce qu’exigeait Hideyoshi de ses daimyō :
« Les intentions que je vous ai fait connaître [concernant l’arpentage des terres], il faut que vous les transmettiez aux guerriers locaux et aux paysans de façon qu’ils obéissent. Si des hommes ayant été informés n’obéissent pas, s’il s’agit du maître d’un château, qu’on prenne son château et que, sans épargner personne, on massacre tout. Pour les paysans et les autres, s’ils n’obéissent pas, il faut tout massacrer, qu’il s’agisse d’un village ou de deux ».
Texte traduit par Francine Hérail. Cité dans Souyri, Pierre-François.
Les guerriers dans la rizière. La grande épopée des Samouraïs. Paris : Flammarion, 2017.
Mais le guerrier reste encore un guerrier, et en 1592, Toyotomi Hideyoshi prend une autre décision : il décide d’envahir la Chine. Il s’attaque à la dynastie Ming ! Pour cela, il faut d’abord traverser la Corée, point le plus proche pour un débarquement sur le continent depuis la région de Nagasaki.

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En six années, plus de 300 000 hommes participent à deux tentatives d’invasion de la Corée, qui iront relativement loin, jusqu’à la Mandchourie. Mais chaque fois, la Chine envoie des renforts aux Coréens, qui résistent malgré ou en raison de l’atrocité des massacres, et s’attaquent notamment avec succès aux lignes de ravitaillement japonaises.
Ce projet démentiel n’aboutira jamais et causera des centaines de milliers de morts civils et militaires des deux côtés. Un historien américain de la fin du 19ᵉ siècle, George H. Jones, estime qu’il y a eu 1 million de morts durant cette campagne. Les viols, tortures et pillages étaient la règle chez les bushi, mais aussi dans les armées chinoises et coréennes.
Sur le plan politique, cette invasion recrée de la déstabilisation au sein du Japon fraîchement unifié. À la mort de Toyotomi Hideyoshi en 1598, l’État japonais est fragilisé par la guerre de Corée et par la jeunesse de son héritier légitime, Toyotomi Hideyori, qui n’a que 5 ans.
Prévoyant, Toyotomi Hideyoshi nomme avant sa mort un conseil de cinq sages, en fait les cinq grands rivaux à sa succession, dont Tokugawa Ieyasu, qu’il charge d’administrer le pays en attendant que son fils soit en âge de le faire. Il tente ainsi d’empêcher la dilution du pouvoir central, mais les ambitions de chacun sont trop fortes, et la guerre recommence.
Bibliographie
- Souyri, Pierre-François. Nouvelle histoire du Japon. Paris : Perrin, 2010.
- Souyri, Pierre-François. Les guerriers dans la rizière. La grande épopée des Samouraïs. Paris : Flammarion, 2017



