Ohayou
Juin 2024

Une dernière soirée à Kanazawa avec Mari et je pars le lendemain pour le Nord, Hokkaidō, Otaru, cette petite ville où j’adore ne rien faire en dehors de marcher, écrire, boire du café, discuter, manger, voir des amis, boire de la bière et du saké, en apprendre plus sur les Japonais. Ce n’est pas vraiment rien en fait.

Mari m’a donné rendez-vous dans son bar à vin, le ランプ, à 22h30, avant cela elle doit travailler et accueillir deux clients importants dans son bar. J’en profite pour retourner dans une Izakaya où je ne suis plus retourné depuis six ans, j’y avais mangé mon premier 河豚. L’endroit n’a pas changé mais je ne vois plus le maître sushi que j’y avais rencontré. Il parlait parfaitement l’anglais ayant vécu plusieurs années à New York. Il était revenu au Japon combinant un métier de maître sushi avec celui de psychologue.

ランプ
Ranpu – lampe.

河豚 (ふぐ)
Fugu – poisson globe.

Quelque chose a changé tout de même, on peut avoir accès au menu avec un QR code, une manière de montrer que les touristes sont les bienvenus. Je préfère les menus en japonais et je commande ce que je parviens à comprendre ce qui n’impressionne pas la serveuse qui avec un sourire radieux se met à me parler japonais comme si je le parlais couramment. Je ne comprends rien et j’éclate de rire. ゆっくりください. Je lui demande 今日のおすすめなにですか ?

ゆっくりください
Yukkuri kudasai – lentement s’il-vous-plait.

今日のおすすめなにですか
Osusume nani desuka – quelle est la recommandation du jour ?

La serveuse me regarde un peu surprise mais elle m’indique plusieurs plats sur la carte. Elle ne connaît pas mes goûts, elle hésite donc un peu. Mais je suis un client, un client étranger soit, mais un client et je dois donc être traiter comme tel. Elle me conseille notamment ce qui s’avèrera être un petit feu de camp portable sur lequel se trouvent des morceaux de crabe dans un réceptacle creux bombé reposant sur une sorte de pâte grumeleuse brune faite de miso et d’autre chose que je ne peux pas définir. Cela ressemble un peu à des tentacules vu la disposition mais ce n’en est pas. C’est vraiment délicieux. Je reçois ce plat en même temps que la 味噌汁 et les fruits de mer que j’ai également commandé.

焼きカニ
Yaki kani – crabe grillé.

味噌汁
Misoshiru – soupe miso.

つぶ貝
Tsubugai – buccins.

イカの塩焼き
Ika no shioyaki – calamars grillés au sel.

Lorsque je rejoins Mari au Lamp, son bar à vin, elle est à sa table de patronne au fond avec les deux clients dont elle m’a parlé. Je les connais, du moins je les ai déjà vus et ils me reconnaissent aussi. C’était il y a cinq ans, toujours cette mémoire étonnante des Japonais. Ce sont des salary men, probablement des cadres de leur société, voire des directeurs, ils sont en costume cravate classique et ils sont venus boire avec Mari en discutant affaires et investissements.

Je ne suis pas importun, j’arrive à l’heure convenue et leur discussion a déjà bien avancé comme leur consommation de vins qui sont servis dans le bar. Les digues de la réserve proverbiale des Japonais sont franchies, la soirée s’annonce intéressant et amusante. Mari résume à ses invités mes cinq dernières années de rapports avec le Japon, elle précise que j’ai progressé en japonais et elle ajoute que lorsque je viens au Japon, je viens toujours la voir à Kanazawa. Je confirme en souriant.

Le bar à vin de Mari est aussi une Izakaya et on y mange très bien, le chef, Tako, la trentaine, beau gosse, très réservé, est un excellent cuisinier. Tout est soigné, fin, bien présenté, original aussi. Lorsque je suis venu en 2019, Mari avait ouvert un autre restaurant, plus petit, dans un endroit qui regroupe des restaurants à vocation gastronomique. Elle en a même ouvert un troisième par la suite, mais le Corona est arrivé et elle a dû renoncer aux deux nouveaux pour ne garder que le plus grand et le plus efficace, le Lamp.

La première chose que Mari m’a montrée lorsque je l’ai rencontrée, avant même de me présenter Takashi, c’est une photo de son violon qu’elle a commandé, en Europe, en Belgique plus précisément. Je me souviens que son smartphone a sonné ce soir-là, le concerto pour piano n° 2 de Sergei Rachmaninov, un de ses compositeurs préférés, c’était notre premier point commun.

Les Japonais et la musique c’est une histoire d’amour. Ils l’apprennent très jeune à l’école et la plupart jouent d’un instrument et chantent juste, quel plaisir pour le カラオケ dont la popularité au Japon est immense. Dans tous les restaurants, dans tous les bars, dans toutes les Izakaya, il y a de la musique, presque toujours du jazz ou de la musique classique. Les bars et les restos de nuit sont un peu différents, plus rock ou plus pop, mais la musique est toujours là.

カラオケ
Karaoke – composé de kara (空), « vide », et de oke, abréviation de orchestre (オーケストラ).

Alors, la nuit lorsque qu’on passe d’un bar à un autre, d’une Izakaya à un restaurant à ramen, on passe aussi d’une musique à une autre. Et les nuits sont longues avec Takashi et Mari, des nuits que tous les trois nous voulons vivre le plus longtemps possible parce qu’elles sont trop rares et que nous ne savons pas quand sera la prochaine. Et parfois, dans ces nuits, quand nous marchons à trois grisés par les Saké, Takashi en électron libre comme il se doit pour un scientifique, nous avançons sans nous regarder et un nouveau soleil brille dans nos yeux au pays du soleil levant.

Ce soir au Lamp, les convives de Mari sont proches du départ, le niveau d’alcool après la journée de boulot a dépassé le stade des cravates négligemment dénouées, le stade de l’affalement sur banquette est proche. Il est temps d’échanger les 名刺 , je signe la mienne avec le 判子 que Makki m’a offert à Otaru et sur lequel se trouve mon nom japonais en kanji que Mari a créé il y a cinq ans. Cela suscite l’intérêt d’un des convives tandis que l’autre s’éteint doucement en s’inclinant sur la banquette pour dormir.

名刺
Meishi – carte de visite.

判子
Hanko – sceau utilisé pour les signatures au Japon.

Mari étant l’auteur des kanji qui forment mon nom japonais elle en explique la conception au convive encore éveillé. La difficulté est de trouver des kanji dont la prononciation permet de lire le nom tel qu’il se prononce réellement. Avec les sons qui existent en japonais et qui ne sont pas toujours les mêmes que dans d’autres langues comme le français ou l’anglais. Normalement un prénom ou un nom étranger s’écrit en katakana, le syllabaire japonais utilisé pour les mots étrangers.

マルセル・プルースト
Maruseru purūsuto – Marcel Proust.

デヴィッド・ボウイ
Devuiddo bōi – David Bowie.

Il est également possible de créer une forme japonaise en kanji d’un nom étranger en respectant la prononciation de celui-ci en utilisant les kanji. Le choix est vaste parce qu’il existe plusieurs milliers de kanji et que beaucoup se prononcent de la même manière. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi que ces kanji reflètent le sens du nom et du prénom dans la mesure du possible. Ce n’est pas forcément évident à nos yeux, nous avons généralement oublié que nos noms et nos prénoms signifient à l’origine quelque chose et nous ne nommons plus nos enfants en raison de ce sens. Ce n’est pas le cas des Japonais, les kanji qui forment le prénom de Mari et qui se prononcent de cette manière veulent par exemple dire « la vérité ».

Mari accompagne ses convives dans la rue comme cela se fait au Japon, c’est le お見送り. Il y a trois raison pour faire cela. Premièrement remercier le client de sa venue, ensuite souhaiter que le client rentre chez lui sain et sauf, enfin, souhaiter qu’il soit en bonne santé le lendemain. C’est être 一期一会, faire les choses comme si c’était la dernière fois de sa vie. Se comporter avec le client comme si c’était la dernière fois qu’on le voyait même si c’est quelqu’un que l’on voit très régulièrement. C’est profondément ancré dans le cœur de tous les Japonais, cela fait partie de leur éducation depuis le plus jeune âge. Ils chérissent chaque moment entièrement avec la conscience permanente de l’éphémérité des chose dont le cerisier est le symbole le plus évident et le plus connu.

お見送り
Omiokuri – raccompagner et faire ses adieux.

一期一会
Ichigo ichie – un moment, une rencontre.

Il faut rester dans la rue, dire またね, 気ぞ付けて et faire des signes de la main tant que le client est visible. Mari fait cela à la perfection et je ne doute pas un instant de sa sincérité lorsqu’elle le fait.

またね
Mata ne – à bientôt.

気を付けて
ki ho tsukete – prends soin de toi.

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