Ohayou
Décembre 2022
Le nom de la ville de Kanazawa s’écrit en japonais avec le kanji de l’or 金 et celui du marais 金. La légende veut que le nom vienne d’un paysan qui aurait fait jaillir de l’or en creusant dans un marais. Au-delà de la légende, il y a vraiment de l’or à Kanazawa où on produit toujours les feuilles d’or qui servent à recouvrir les temples et qui doivent être régulièrement renouvelés. C’est le cas depuis plusieurs siècles. Une des attractions est d’ailleurs les pâtisseries et glaces vendues avec de vraies paillettes d’or que l’on peut manger. Le centre de ce commerce se trouve dans le quartier d’Higashi, celui des Geishas.
金
Kin – or.沢
Sawa – marais, marécage.
Il y a un château à Kanazawa, il a été entièrement reconstruit au XXème siècle après avoir été détruit plusieurs fois, c’est un bâtiment magnifique et très impressionnant. Il y a un des trois plus beaux jardins japonais du pays, le Kenrokuen qui est splendide en toute saison. J’y vais plusieurs fois à chaque voyage, j’aimerais le voir sous la neige et au printemps lors de la floraison des cerisiers. Le dimanche ou les jours fériés les Japonaises et les Japonais sortent leur kimono pour s’y promener.
Il y a l’ancien quartier des samouraïs où on peut déambuler avec l’impression de remonter le temps, visiter l’une ou l’autre maison qui a été conservée, ce qui est rare au Japon. D’une part parce les Japonais n’accordent pas une grande importance aux bâtiments anciens, toujours cette impermanence des choses, d’autre part parce que 40% des bâtiments au Japon ont été détruits par les bombardements américains durant la guerre. Kyoto et Kanazawa avec d’autres endroits ont été épargnés pour préparer l’après-guerre.
Et puis il y les deux quartiers de Geishas, quartier de plaisir autrefois, qui sont séparés par la rivière Asano.
L’un, le Higashi chaya, est très commercial, avec les magasins de gâteaux dorés et de Sakés de qualité, mais il vaut vraiment le détour. On peut visiter d’anciennes maisons de plaisir, des maisons de thé et assister à un spectacle de Maikos, des apprenties Geishas.
L’autre, le Kazuemachi chaya, est plus discret, plus difficile à connaître et à découvrir. Il faut osez entrer dans ces maisons traditionnelles sans fenêtre où l’enseigne délicate et lumineuse le soir, écrite en japonais, ne nous apprend pas la fonction de l’endroit. Parfois un simple café où le tenancier sans âge fait d’une bouilloire et d’une cafetière un moment inoubliable de beauté et de lenteur maîtrisées qui fait passer le temps d’un matin pluvieux avec la douceur d’une saveur, un gâteau, un café.



Si je m’égare souvent dans les nuits de Kanazawa, en fait c’est le jour que je veux montrer, la lumière incroyable qui règne en ces lieux. Je crois que mon endroit préféré, celui où j’ai le plus d’émotion, c’est le Gyokuseninmaru, un petit jardin à la périphérie du château. Le jardin porte le nom de la femme du deuxième seigneur féodal de Kanazawa, mais il a été créé après sa mort, en 1634, par le troisième seigneur féodal. C’était un lieu de repos et de délassement par rapport au Kenrokuen qui était un lieu de fêtes et de cérémonies et qui a été construit plus tard.
Chaque fois que j’y vais, je suis conquis par l’atmosphère de ce jardin, c’est magnifique en toute saison, très calme et peu fréquenté parce que l’endroit est en dehors des circuits touristiques. L’émotion est montée jusqu’aux larmes après trois ans sans le voir. Je suis un peu en retard pour le 紅葉, ce moment magique où les feuilles changent de couleur au Japon, mais le Gyokuseninmaru reste magnifique. La coutume au Japon, à l’égal de la floraison des cerisiers au printemps, est d’apprécier en automne les feuilles rouges. Cela s’appelle 紅葉狩り. Au Japon, chaque saison, chaque mois, à ses coutumes, ses fêtes, sa cuisine et ses saké, c’est un rituel qui touche à l’impermanence des choses, de la vie, de la nature, de la beauté.
紅葉
Kōyō – feuilles d’automne.紅葉狩り
Momijigari – aller voir les feuilles d’automne.



Le château de Kanazawa a été construit une première fois en 1580, mais il a été complètement reconstruit douze ans plus tard par Maeda Toshiie qui avait conquis la région en 1583 pour le compte de Toyotomi Hideyoshi, un des trois unificateurs du Japon. Nous sommes à l’ère Sengoku, une ère de guerres féodales particulièrement meurtrières mais qui va aboutir en 1603 à l’établissement du pouvoir central du clan Tokugawa sur tout le Japon et à la fin des guerres féodales. 1603. C’est le début de l’ère Edo, ancien nom de Tōkyō, petit village de pêcheurs devenu la capitale du clan Tokugawa qui va régner sur le Japon pendant 265 ans. Les kanjis de Tōkyō 東京 signifient « capitale de l’Est », par opposition à Kyoto, l’ancienne capitale où réside un Empereur sans pouvoir, qui se trouve à l’ouest.


L’Histoire du Japon à cette époque est complexe, les alliances se font et se défont, les trahisons et les assassinats sont courants, le tout dans une ambiance d’ambitions et d’égoïsme qui est bien loin de l’idée du samouraï qu’on se fait en Occident. Ce n’est finalement pas très différent de notre histoire à nous, dans la bassesse des moyens et des intentions en tout cas. Le mythe du Bushidō, du samouraï sans peur et sans reproche, est encore à inventer ; ce ne sera pas le cas avant la fin du XIXème siècle.
Retenons que le clan Maeda a donc pris le pouvoir à Kanazawa pour le compte de Toyotomi Hideoshi. Lorsque le clan Tokugawa remporte en 1600 la bataille décisive de Sekigahara, la dernière grande bataille féodale, le clan Maeda fait allégeance aux Tokugawa, ce qui va lui permettre de régner sur Kanazawa jusqu’en 1873, date de la suppression du statut de samouraï. Le magnifique château qui resplendit en plein cœur de Kanazawa, a été le symbole du pouvoir du clan Maeda sur la région pendant près de 300 ans. Le clan Maeda n’existe plus depuis plus d’un siècle, le château quant à lui est une reconstitution partielle de ce qu’il était en 1850 et qui a été initiée à partir des années 2000. Une partie du site du château a accueilli l’Université de Kanazawa entre 1949 et 1989.
En 1871 lors de la restauration Meiji, c’est-à-dire le retour de l’Empereur au pouvoir, le château de Kanazawa devient le quartier général de la 9ème division de l’armée impériale. En 1881, il est à nouveau détruit par un incendie. Il n’y a donc plus grand chose d’authentique dans le château de Kanazawa, mais il est majestueux, réellement impressionnant et je ne me lasse jamais de me promener dans son parc avant d’aller faire un tour au Kenrokuen, qui était par le passé le jardin privé du château.
L’extérieur est fait de pierre, mais toute la structure interne est en bois, en cyprès du Japon et en cyprès américains. Le plus étonnant, c’est que dans cette immense construction de bois il n’y a pas une seule vis, pas un seul clou ! Tout est emboité, chevillé pour garantir une meilleure résistance aux séismes qui sont si fréquents au Japon.

