Ohayou
Janvier 2023

Même s’il est très largement ignoré en Occident le cinéma japonais est parmi les plus importants du monde encore aujourd’hui en termes de films produits. Certaines années, le Japon dépasse les États-Unis !

Dès la fin du 19ème siècle, à peine ouvert à l’Occident, le Japon est avide de technologies et les premières projections des techniciens des frères Lumière sont faites à Kobe en 1896 et à Osaka en 1897.

L’engouement est immédiat, Shirō Asano (1877 – 1955) importe la première caméra Gaumont en 1897, il tourne des scènes de rue, des plans de geishas. La projection de ses films à Tokyo en 1899 est un succès, le cinéma est lancé au Japon. Le premier genre cinématographique à succès est le 時代劇 qui met en scène des combats de sabre qui vont devenir extrêmement populaires.

時代劇
Jidaigeki – drame d’époque.

Quasiment toute cette production de cinéma muet, qui a duré une trentaine d’années, a malheureusement quasiment complètement disparu. Les choses sont éphémères au Japon, on ne cherche pas à les conserver. Le genre a pourtant perduré dans le cinéma parlant et il deviendra le symbole même du cinéma japonais au travers des œuvres d’Akira Kurosawa ou de Masaki Kobayashi parmi beaucoup d’autres.

Cependant, le cinéma japonais est totalement ignoré par le reste du monde pendant plus de 50 ans, il faudra attendre la Mostra de Venise en 1951 pour que l’Occident prenne conscience de l’existence du cinéma japonais. Mais celui-ci reste dans l’ombre pour le grand public comme le montre l’histoire de Yasujirō Ozu, considéré aujourd’hui comme l’un de plus importants réalisateurs de l’histoire du cinéma mondial.

Le 12 décembre 1963, Ozu meurt le jour de ses soixante ans, il rend un dernier hommage discret à la précision subtile qui caractérise son cinéma. Au Japon, il est célèbre, reconnu, mais souvent considéré comme très peu Japonais. La Nouvelle Vague du cinéma japonais qui fait ses débuts le considère comme un cinéaste bourgeois.

En Occident, il est inconnu ou presque. L’année de sa mort, le Festival de Berlin a présenté quelques-uns de ses 54 films, mais il faudra attendre 1978 pour que 東京物語, littéralement, « Histoire de Tokyo », connaisse une sortie nationale en France sous le titre : « Voyage à Tōkyō ».

東京物語
Tōkyō monogatari – Histoire de Tōkyō.

Shochiku Company, Limited 1953
Public domain, via Wikimedia Commons

Ce film réalisé en 1953 est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. Le voir, l’apprécier, se souvenir de l’émotion qu’il procure, s’est entrer par une petite porte dérobée dans l’univers du Japon, un univers qui ne ressemble en rien au nôtre et qui en même temps lui ressemble tellement.

Le premier nom du cinéma japonais, la première référence pour les Occidentaux, n’est pas Yasujirō Ozu mais Akira Kurosawa. En 1951, il obtient le Lion d’or à la Mostra de Venise pour son film Rashōmon. Kurosawa a 41 ans, c’est son dixième film et pour la première fois en plus de cinquante ans d’existence, le cinéma japonais reçoit une reconnaissance internationale.

Rashōmon est l’histoire du meurtre d’un samouraï et du viol de son épouse racontés de quatre manières très différentes, y compris par le mort lui-même par le biais d’un medium. C’est le Japon de l’ère Heian, entre le VIIIème et le XIIème siècle, il y a le bandit, le samouraï, le misérable, la femme fatale, tous les ingrédients archétypaux sont là.

Rashomon poster : Daiei, (c) 1962
Public domain, via Wikimedia Commons

Ce film d’une puissance inouïe est servi par un acteur hors du commun, Toshirō Mifune, c’est le cinquième des quinze films qu’il tourne avec Kurosawa, la plupart sont devenus des classiques. Je pense que c’est en regardant ce film que j’ai compris à quel point le cinéma nous permet de voir le monde autrement au même titre que la littérature nous permet de penser le monde autrement.

C’est à partir de cette époque que le cinéma japonais va rendre populaire en Occident le personnage du Samouraï sans peur, inflexible, extraordinairement habile et contrecarrer par la même occasion l’image extrêmement négative des Japonais issue de la seconde guerre mondiale.

Hier je revoyais un autre film de Kurosawa qui est aussi emblématique de cet aspect des choses, Yōjimbō (Le Garde du corps) qui date de 1961. C’est un immense succès au box-office japonais, il rapporte plus d’argent que tous les films précédents. C’est aussi celui qui lance une nouvelle ère pour les 残酷時代劇.

残酷時代劇
Zankoku jidaigeki – drame d’époque cruel.

Mais pas seulement. Sergio Leone, alors largement inconnu du grand public, plagie sans gêne non seulement le scenario, mais aussi les techniques, les plans de Kurosawa. Ces fameux plans serrés, de gueules patibulaires, des moues sadiques, perverses, des visages mal rasés, la saleté sur toutes les parties du corps et la musique qui rythme les plans. Les scènes de duel dans la rue principale du village, avec le vent, la poussière etc.

Sergio Leone a tout pris à Kurosawa – il anticipait en cela Tarantino qui pille lui aussi sans réserve le cinéma asiatique – et il en a fait Pour un poignée de dollars avec Clint Eastwood qui sort en 1964 et lance sa carrière. C’est la copie exacte de Yōjimbō. Leone perdra le procès intenté par Kurosawa pour plagiat, mais en Occident on préfère l’oublier.

Il y a aussi un réalisateur dont le nom est associé aux Geishas, Kenji Mizoguchi Kenji. Il est né en 1898, son père se voit ruiné dans son entreprise de fournir des pardessus à l’armée japonaise lorsque le guerre russo-japonaise s’arrête en 1905. Il vend sa fille aînée à une maison de Geisha ce qui traumatise le jeune Kenji. Il fera des Geishas, des prostituées, des femmes en souffrance, la thématique récurrente de son cinéma qui a l’ampleur et la qualité de celui d’Ozu, de Kurosawa ou d’Imamura dont je parlerai dans une autre chronique.

« Les musiciens de Gion », raconte l’histoire d’une jeune fille qui devient Maiko après la mort de sa mère qui était une Geisha. « Les sœurs de Gion » se passe dans le quartier des Geishas de Kyoto. « La rue de la honte », son dernier film en 1956, raconte la résistance d’une maison de passe face à l’interdiction de la prostitution.

Le cinéma japonais est probablement un des meilleurs moyens avec la littérature de découvrir le Japon, son passé, son histoire, sa culture, en ayant une chance d’en saisir toute la différence avec le monde occidental et toute la difficulté de l’apprécier et de le comprendre.

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