Ohayou
12 juin 2025

La pluie est arrivée au cours de la nuit et les rues sont couvertes d’une pellicule d’eau qui parait uniforme. On ne voit pas vraiment de flaques mais des lumières changeantes qui se reflètent au rythme de la marche et du balancement du parapluie désormais indispensable. Le 梅雨 est là, 14 jours plus tôt que l’an dernier, il durera jusqu’à mi-juillet.

梅雨
Tsuyu – saison des pluies.

La pluie annonce l’été même si la température a un peu baissé, l’humidité va bientôt saturer l’air et la chaleur continuera de progresser régulièrement pour devenir plus difficile à supporter. Ce n’est pas la mousson comme ailleurs en Asie, c’est un climat propre au Japon qui connaît deux autres périodes de pluies plus courtes, l’une au printemps, l’autre au début de l’automne. Le tsuyu est la pire des saisons pour le tourisme, une chance à saisir sans doute.

Il ne pleut pas très fort pour l’instant et pas de manière continue mais l’intensité du tsuyu varie et peut parfois se transformer en véritable déluge de pluie battante qui dans certains cas emporte tout avec elle, terrains, habitations, êtres vivants. Les Japonais le savent et sont prêts en permanence, depuis l’enfance ils apprennent à connaître les colères dangereuses de la nature dans leur pays.

C’est l’occasion de retourner au 木佐店 que j’ai découvert dans mon nouveau quartier de Meguro, à un quart d’heure de marche de ma chambre. Le Dun Aroma est parfait, un long bar en bois sépare les clients des deux maîtres du lieu qui préparent le thé et le café avec un art digne d’un film. Ils torréfient eux-mêmes des cafés du monde entier aux noms écrits en japonais et en lettres romaines ; Peru Chanchamayo, Tanzania KIBO, Golden Mandelin, Yunnan Province China SIMON, etc. C’est ce dernier que je choisis, allez savoir pourquoi.

木佐店
Kissaten – maison de thé et de café.

© Philippe Daman

Le café est servi dans de magnifiques services qui n’ont rien de japonais qui décorent les étagères face auxquelles on est assis. Le café moulu à la machine est ensuite placé dans un filtre sur un support en métal qui surplombe la tasse d’une quinzaine de centimètres. L’eau chaude portée à la température idéale est versée par petits coups secs depuis le long bec verseur du récipient en métal qui la contient. Je compte le temps, il faut plus de 15 minutes pour qu’une tasse soit prête à être servie.

En dégustant le café, comment faire autrement quand il est préparé avec une telle passion, on écoute les conversations à voix douce des clients, la musique discrète, on regarde le manège fascinant des deux maîtres café qui répètent les mêmes gestes avec précision, caractéristique de l’art au Japon. Il ne faut pas en déduire pour autant qu’il s’agit d’une pratique ancestrale venant du passé historique tant fantasmé du Japon. C’est au contraire très moderne, le café n’apparaissant qu’au début du XXe siècle, importé par les occidentaux. Ce qui est unique, incomparable, c’est la manière de faire, la minutie, le temps pris pour réaliser une idée de café parfait.

Le bruit des grains tombant dans le récipient de la machine et le moulage précis sont les bruits les plus forts entendus dans cet endroit où le temps ne s’est pas arrêté ou perdu comme le dit l’image éculée, mais où il se trouve dans une sorte d’ouate faite d’arômes de grains moulus arrosés d’eau chaude avec patience et compétence. Une madeleine pourrait ajouter un peu d’ouate supplémentaire, mais est-ce bien utile ?

Je quitte la magie du café pour retrouver Tōkyō que je n’aime plus tellement. Trop de monde, trop de business, trop de voitures, trop de vélos, trop de bruit. La ville est fascinante lorsqu’on la découvre ou la redécouvre, mais après quelques jours on se lasse de la foule constante que ce soit dans les endroits connus que cherchent les visiteurs ou dans les métros qui semblent toujours pleins en dehors de l’aube et de courtes accalmies durant la journée. Tout bouge tout le temps à Tōkyō, ville impermanente.

Il faut donc retrouver l’envie de marcher dans cette ville sans fin, de partir à la découverte d’un quartier inconnu, mais pour cela il faut une raison, un objectif. Le livre de Robert Guillain, Les Geishas, m’en donne une. Son récit se déroule principalement dans quelques quartiers de Tōkyō qui étaient autrefois des lieux où habitaient les geishas près des maisons de thé ou des restaurants dans lesquels elles exerçaient leurs talents artistiques.

Avant et après la guerre il y a eu trois quartiers principalement, Akasaka, que je connais et où il ne reste rien de cette époque, Shinbashi et Kagurazaka où je vais aujourd’hui. C’est très animé et quelques ruelles demeurent encore rappelant un passé en voie de disparition, mais c’est la nature des choses, la nature de l’impermanence. Le quartier est plutôt agréable autour des ruelles de Hyogo Yokocho et de Kakurenbo Yokocho, beaucoup d’Izakayas, des bars de toutes sortes et très peu de touristes.

© Philippe Daman

Je croise une femme plutôt âgée qui porte un kimono superbe, elle s’engouffre dans une maison qui paraît tout en bois dans une ruelle étroite ; l’illusion un instant très bref de voir le temps d’avant, celui de Guillain. Au bout de cette petite rue qui l’élargit est arrêtée une énorme limousine noire entourée de groupe assez important de japonais de tous âges. De la voiture sort un homme très vieux soutenu par un assistant ou un secrétaire, un homme important visiblement, tout le monde s’incline avec respect.

Il est temps d’aller retrouver Takashi, il est temps d’aller manger dans une de ces Izakayas qu’il a le don de dénicher et où je ne pourrais probablement pas aller sans lui. Il faut un peu plus d’une demi-heure pour rejoindre Musashi-Koyama en métro et aller à pied jusqu’au Tsunagiya où mon ami m’attend. Quelques petites tables et un bar derrière lequel le chef s’active à composer yakitoris et sashimis.

© Philippe Daman

Quand on quitte le Japon plusieurs mois on oublie à quel point la cuisine est bonne, et même s’il existe quelques restaurants japonais de qualité en Europe, ils ne parviennent jamais à concurrencer la qualité des produits que l’on trouve au Japon, ni leur diversité, et encore moins le prix. Pour une qualité supérieure c’est trois ou quatre fois moins cher à Tokyo et la différence est encore plus importante hors de la capitale. A condition bien entendu de ne pas tomber dans le piège des lieux touristiques.

© Philippe Daman

C’est ce que nous explique le sympathique patron du Séamus O’Hara, bar irlandais de Tōkyō que nous découvrons par hasard Takashi et moi. De la Guinness à la pression et un décor digne d’autres bars du même type que je fréquente en Europe. Il nous parle des prix qui flambent dans certains endroits à cause des touristes, 3000 yens pour un ramen, 18 euros, un prix ridicule que seuls les touristes payent ; le prix normal d’un ramen varie de 850 à 1200 yen en général. Le tourisme est sans doute une bonne affaire pour certains, mais pour beaucoup de Japonais c’est un problème difficile à accepter.

J’adore ce pays
Mata ne

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